dimanche 30 décembre 2012

Pourquoi Sucker Punch est-il un grand film ?


Avertissement : Tout d'abord, je tiens à mentionner que le texte qui suit doit absolument être lu après avoir vu le film. Ce qui fait de Sucker Punch un film unique, c'est justement la réaction qu'il va être capable de provoquer sur chaque spectateur par son effet de surprise.
J'y reviendrai, mais surtout, si vous n'avez pas encore vu le film, attendez pour lire cet article.


Sucker Punch est un film qui, depuis sa sortie, fait débat. Il suscite toujours de vives réactions et il faut reconnaître qu'elles sont justifiées. Qualifier ce film d'atypique ne serait qu'un euphémisme tant on a jamais vu quelque chose de similaire. Et pour cause : Sucker Punch est unique !

Grand fan du réalisateur, Zack Snyder, j'ai vu ce film le jour de sa sortie. Je suis ressorti de la séance assez déstabilisé, étonné par ce film que je ne comprenais pas. Déçu un peu, face à un scénario qui semblait faiblard. Mais aussi, et ce sans en connaître la raison, assez mal. Pas profondément mal, mais ce film avait eu pour effet de me mettre mal à l'aise.
Dès le lendemain, je commençais à en chercher le sens, le but. Face à la complexité du film, je n'ai pas compris tout de suite bien sur. Mais depuis plus d'un an et demi, de temps en temps, je continue à chercher.
Je pense avoir enfin trouvé. J'ai maintenant une compréhension du film qui, bien qu’incomplète, me permet d'affirmer qu'il s'agit d'un chef d’œuvre. Ce discours, ce n'est pas la première fois que vous devez l'entendre, mais laissez moi développer. Je suis convaincu que, si vous êtes toujours en train de lire, mes arguments vous intéresseront.

  1. La mécanique du film :

Je vais commencer par aborder le titre du film : Sucker Punch. En français, cela donne approximativement « Coup en traitre », « Attaque surprise, au dépourvu ».
C'est un titre plutôt étrange, et il m'a toujours interpellé. La principale raison de cet étonnement, c'est qu'il n'y a pas de réel coup de ce genre dans le film. Aucun « Sucker Punch » auquel on aurait pu associer le titre.
Et puis j'ai compris : le « Sucker Punch », c'est le film en lui-même qui le porte au spectateur. Ce film constitue – et le titre l'avait pourtant annoncé – un coup en traitre pour celui qui le regarde. C'est là d'ailleurs toute l'originalité, et toute la qualité du film. Le message du film ne dépend pas seulement de ce qui est dit dans le film ou montré dans le film. Le message découle aussi directement de la réaction du spectateur.
En gros, Sucker Punch joue non seulement avec ses personnages, mais implique aussi le spectateur. Il lui fait vivre à échelle réduite, les mêmes péripéties qu'aux personnages.
C'est une mécanique de génie, qui immerge totalement le spectateur dans l'histoire, et permet de dénoncer la nature humaine sur deux niveaux : au niveau de ce qui se passe à l'écran, mais aussi au niveau de ce qu'il se passe chez le spectateur !*

Reprenons le film étape par étape, tout d'abord avec ce que vit Babydoll, puis avec ce que ressent le spectateur.
Le film débute par l'enterrement de la mère de Babydoll, son agression par son beau père, le meurtre involontaire de sa sœur, l'internement en asile psychiatrique, puis la menace de la lobotomie. Babydoll plonge dans un véritable enfer. Difficile d'imaginer une situation plus horrible.
Tout cela est mis en scène d'une main de maitre. La scène est noire, sans parole. La musique est lourde, les plans s'enchainent … Le spectateur qui s'entendait à venir voir un simple film d'action, avec des filles sexys, sans réel fond, plonge lui aussi dans une certaine horreur face à ce spectacle. Les malheurs de Babydoll s'enchainent rapidement, sans aucune place pour la détente. On se retrouve dans la même position qu'elle – avec une intensité tout à fait moindre bien sur – et consciemment ou pas, on désire que ça s'arrête.

Puis on a le premier changement de réalité. La pression baisse légèrement pour Babydoll et le spectateur. On ne l'a quasiment pas vu passer, et pourtant le piège du film vient de se refermer sur nous, nous avons suivi Babydoll dans sa fuite. Nous avons nous aussi fait le choix de changer d'univers pour nous détendre.

Le film continue, et Babydoll commence à danser. Elle change encore d'univers. Nous la suivons pour notre plus grand bonheur. Les scènes d'actions jouissives s'enchainent, c'est du grand Zack Snyder, complétement anachronique mais tellement bon !
Bien sur, il y a des retours au monde un peu moins confortable du bordel. On apprends que les filles vont devoir réunir cinq objets pour s'échapper.
C'est simpliste, mais ça joue son rôle. Face à une quête aussi stéréotypée d'évasion, on ne doute pas une seconde de la réussite de l'entreprise. Après tout ça s'est déjà vu tant de fois …

On retourne avec plaisir dans les mondes imaginaires et délirant de Babydoll. On se fait au rythme parfaitement calibré du film : monde imaginaire, retour au bordel, monde imaginaire, retour au bordel... En fait, à chaque retour au bordel, on ne désire qu'une chose, tout comme Babydoll : s'échapper à nouveau dans l'imaginaire.

Les filles récupèrent les quatre premiers objets. La quatrième mission finit mal pour Rocket. Mais dans l'esprit du spectateur, ça va s'arranger. Elles vont repartir pour la cinquième mission, récupérer le cinquième objet, puis s'échapper. Le film paraît très prévisible. Tout a été fait pour d'ailleurs. Les tenues sexys des filles, le rythme si régulier, le manque apparent de recherche du scénario...
Mais pendant tout ce temps, le spectateur s'est laissé piégé. Il a suivit Babydoll dans sa fuite pour l'imaginaire. Et le coup en traitre survient !

Rocket meurt, Sweet Pea est violemment enfermée … Blue fait un discours particulièrement éprouvant, il a tout découvert... Amber et Blondie sont tuées !
Babydoll manque d'être violée.
Le film sort totalement des sentiers battus. Tout se passe de travers. Le même procédé qu'au début est employé pour mettre mal à l'aise le spectateur : on enchaine les scènes psychologiquement violentes. On nous pousse à vouloir que ça s'arrête.

Heureusement Babydoll poignarde Blue. Il semble que ça s'est arrêté. Elle délivre Sweet Pea et leur évasion semble fonctionner à la perfection.
Et là, nouveau coup en traitre inattendu : il y a un groupe d'homme à l'entrée. Seule Sweet Pea pourra s'échapper.

Babydoll est lobotomisée. Le spectateur est violemment ramené à la réalité. Le docteur appuie sur le fait qu'elle avait l'air particulièrement torturée.
L'horreur de l'asile psychiatrique explose à nouveau : Gorski s'aperçoit qu'on a imité sa signature pour la lobotomie, on comprend que Blue viole les jeunes patientes.
Et on comprend que tout ce qui précédait dans le film s'est bien déroulé dans la réalité **

Sweet Pea parvient finalement à s'échapper. C'est la seule note positive.
Le film se termine donc sur la mort de trois des cinq personnages principaux, et de la lobotomie de la quatrième.
C'est particulièrement violent et inhabituel pour un film qui paraissait pourtant ne pas sortir des sentiers battus.
Pourquoi ?

  1. Le message du film :

L'histoire de Sucker Punch, c'est en fait l'histoire d'une jeune fille (Babydoll) dans sa quête de rédemption suite au meurtre involontaire de sa sœur. Face à une telle horreur, et à toutes ses conséquences (asile psychiatrique notamment), Babydoll fuit. Elle entame une quête d'évasion non seulement physique de l'asile, mais aussi une évasion psychologique de ses malheurs.
Mais cette évasion échoue. Elle est ramenée inexorablement à la réalité. Elle finit par être lobotomisée. Sa quête d'évasion profite toutefois à Sweet Pea, qu'elle parvient à aider.

Le message me semble clair : il est vain de tenter de fuir nos problèmes et de nous immerger dans un monde de mensonges, car la réalité est toujours là. Cela revient à tendre volontairement vers la lobotomie, l'absence totale de conscience.
Toutefois la quête de rédemption, parallèle à celle d'évasion n'est pas vaine, puisque Babydoll parvient à aider Sweet Pea après avoir causé la mort de sa sœur. Le film ne se contente pas de critiquer, il propose une solution.
C'est un message qui dit comme ça semble un peu simpliste, on se dit : un film aussi compliqué pour seulement ça ??
Mais tout le génie de Sucker Punch réside dans sa manière d'illustrer son message, de mettre en évidence l'hypocrisie de la nature humaine et la lâcheté qui est en chacun de nous. C'est l'art de manipuler le spectateur et de faire ressortir chez lui le défaut que le film dénonce.

  1. La réaction du spectateur face à Sucker Punch :

Si le film dénonce le comportement de Babydoll, si il met en évidence la lâcheté de sa fuite vers la lobotomie, il ne faut pas oublier que depuis le début, le film fait suivre au spectateur le même parcours psychologique que l’héroine.
Donc depuis le début, si vous êtes rentré dans le film, vous êtes en tort. Vous fuyez l'horreur du début du film.
Et comme Babydoll, vous allez être ramenés à cette horreur par la fin du film.
Comment allez vous réagir ?

On observe trois sortes de critique du film. Et si elles sont toutes si radicales, c'est justement à cause de cette attaque psychologique qui est faite au spectateur par la fin du film.

D'abord on observe les critiques les moins violentes. Si le spectateur a aimé, il va juste dire qu'il voit le film comme un bon film d'action, sans prétention. Sinon il va dire que le film était très prévisible, sans surprise, ennuyeux.
Dans les deux cas, ce spectateur nie l'originalité du film. Il refuse le « Sucker Punch », refuse cette morale pour ne pas être ramené à la réalité. Il s'arrête à la vision qu'il avait du film avant la quatrième mission, quand tout allait bien. Il est prit la main dans le sac et illustre parfaitement la morale du film.

Ensuite on retrouve des critiques plus ou moins violentes qui rabaissent le film plus bas que terre, le qualifient de complétement nul. Ici le « Sucker Punch » a clairement fonctionné à merveille. Il a fait mouche. Les spectateurs qui font ce genre de critiques ne refusent pas directement d'entendre cette morale douloureuse, mais ils lui dénient tout intérêt. En rabaissant le film plus bas que terre, ils n'ont pas à s'en soucier.
Une nouvelle fois, ils sont prit la main dans le sac.

On retrouve enfin des critiques positives voir très positives qui élèvent le réalisateur au rang de génie qui a caché le vrai sens de son film. Ces spectateurs s'appuient généralement sur une théorie plus ou moins tirée par les cheveux (dont certaines sont tout de même très intelligentes). Mais en ça, ils refusent aussi le Sucker Punch. Ils cherchent à adapter le film à ce qu'ils attendaient, et à occulter ce passage déstabilisant. Dans l'optique que leur théorie soutient, le film colle parfaitement à ce que l'on attendait de lui. Eux aussi, ils sont prit la main dans le sac. ***

Dans l'écrasante majorité des cas, Sucker Punch fait ressortir chez le spectateur, d'une manière ou d'une autre le défaut de lâcheté qu'il critique. Il dénonce la nature humaine et sa tendance à fuir, à créer des mondes imaginaires dans le but d'ignorer ce qui le dérange.
Je trouve cela carrément impressionnant la manière dont le message dénoncé dans le film est envoyé directement au spectateur, et comment la réaction du spectateur, qui dans un premier temps le refuse, va venir donner encore plus de poids à ce message.

Mais ce n'est pas tout.

  1. La critique d'Hollywood :

Si le piège du film parvient si facilement à se refermer sur le spectateur, c'est avant tout parce que celui-ci est habitué à des films qui suivent toujours le même schéma.
Si il y a un coup en traitre, un « Sucker Punch », c'est bien parce que l'on s'attendait à autre chose.
Et le fait que le film fonctionne, cela critique – et une nouvelle fois par la mise en défaut – le système Hollywoodien.

D'un côté, les spectateurs qui, dans leur défaut habituel, se laissent emporter dans des mondes imaginaires pour fuir la réalité.
Mais de l'autre, Hollywood, qui exploite ce comportement, qui le conditionne même.
Hollywood qui ressort encore et toujours le même film, qui suit le même schéma.
Sucker Punch constitue une révolte contre la limitation de la liberté artistique des cinéastes qui doivent tourner eux aussi toujours le même genre de film.

Cette révolte, elle apparaît dans l'image que le réalisateur a su conférer au film avant sa sortie. Il a donné l'image d'un blockbuster, d'un film d'action où des filles sexys combattent toutes sortes d'ennemis. Du côté d'Hollywood, cela semblait correspondre à la norme.
Mais contrairement à ce qui était attendu, Sucker Punch est un film féministe, et incroyablement réfléchi. Il déstabilise les spectateurs et reçoit de mauvaises critiques.

Hollywood s'est laissé berner et a financé un film qui n'a presque rien rapporté.
C'était, en passant, bien mérité quand on se dit que la cupidité de ce système aurait pu empêcher un tel chef d’œuvre de naitre !

7 commentaires:

  1. Bien dit.

    Moi aussi… Je me suis fait prendre la main dans le sac.

    Mh…

    Et dire que que moi aussi, je m'enferme de la même façon que Babydoll dans des mondes imaginaires… Enfin, encore heureux, ma situation n'est pas aussi désespérée, et je suis plus cohérent dans mes créations… Mais…

    Effectivement. Je suis vexé. Ce film que je croyais bien aimé dénonce ce que j'aime faire.

    Ah… Je suis forcé de m'avouer frappé en traître, effectivement.

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  2. Mh...

    Je me suis aussi fait prendre la main dans le sac.
    Même vis-à-vis du retour à la réalité.
    J'ai pressenti que la lobotomie se ferait. à cause sans doute de ce qui se passe lorsque je fuis moi aussi par l'imaginaire (pour des choses moins graves, certes) et que je reviens à la réalité. Par expérience, donc.
    Cependant...
    J'ai bien dit pressenti.
    Mais je n'y ai pas cru.
    Et même après le fait accompli, je pensais encore que par un coup du sort typique, elle allait encore revenir à elle.
    C'est... choquant.
    Et en disant ces mots, je montre bien que, moi aussi, je me suis fait trahir par ce film.
    Et pourtant... il ne fait que confirmer un doute que je n'arrivais pas à définir... à mettre des mots dessus. Ce qui fait que... contrairement à mon prédécesseur (Klev), je suis trahi mais pas vexé. Il porte le coup là où ça fait mal... mais là où c'était nécessaire, j'ai l'impression.
    Et je sens que... ça va me changer.
    En bien ou en mal ? Que nenni. Mauvaise question.
    Oui, je risque d'avoir du mal à écrire pendant un moment.
    Oui, cela va changer ce que j'écris.
    Mais je pense que cela m'aidera, en fin de compte.

    ...Merci pour la critique. Je trouve ça intéressant. Surtout que moi, c'est ma première impression que je donne là.

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  3. Mouais... Je sais que c'est débile de comparer deux films (qui en plus sont radicalement différents), mais si on veut un film qui montre vraiment un protagoniste voulant fuir la réalité par la création d'un univers fantasmé, autant voir Mulholland Drive qui est bien plus intéressant et déconcertant. Et qui, d'une certaine façon, critique également Hollywood d'ailleurs.
    Après je tiens à dire que je respecte tout à fait ta critique et ta réflexion

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  4. Critique très intéressante, bien écrite et bien construite.

    J'approuve ce que tu y expliques, à savoir que le spectateur est berné. Je me suis senti dans la même situation que toi après avoir vu ce film pour la première fois : horriblement gêné. Ma première réaction a été de me demander : à quoi bon ? Pourquoi ce film ?

    Et c'est en y repensant a posteriori que je me suis rendu compte que ce film bernait totalement chaque spectateur, et qu'en cela, il ne pouvait que susciter des critiques radicales et radicalement opposées. Tout le monde n'accepte pas de se faire avoir ...
    Je n'ai vu ce film qu'une fois, à sa sortie en DVD. C'est un film mémorable, qui entre dans mon "Top 5 des meilleurs films", lequel est vraiment varié et offre une place à différents genres de films..

    Ce film me fait le même effet que Sweeney Todd, que je n'ai revu que longtemps après mon premier visionnage. Bien que différents, ces films nous interrogent. Quels sentiments éprouver ? Quelle attitude adopter ? Etrange, surprenant, et tellement envoutant.

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  5. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  6. Regarde cette théorie, lis et ouvre ton esprit (par ce que je te sens sûr de la version que tu nous conte!), c'est selon moi cette théorie qui est la bonne [rêve de sweet pea], du moins je le pense tout simplement parce que dans ta version, j'ai l'impression que trop de détails évidents sont laissés de coté: http://entre-deux-films.over-blog.com/m/article-71861929.html

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  7. Super critique ! Je dis ça surement car j'avais le même point de vue sur ce film, que j'ai aimé, et de plus en plus aimé plus je le voyais. On s'identifie très rapidement a Babydoll, surtout dans cette société conformiste, on beaucoup ont tendance à s'enfuir dans leurs propre imaginaire.
    C'est quelque chose que je pratique consciemment, et que j'assume totalement. Le voir appliquer dans un film m'a surement beaucoup touché, et ça doit être pour cela que j'ai été pris aux tripes. Je trouve ce film fantastique, je suis surtout déçus des critiques qui ... ne recherche rien de plus que du Hollywoodien, comme tu dis si bien ...

    Merci pour cette critique !

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